L'indisciplinée: Tu chantes pas Brassens devant un commissariat, t'as raté ta vie !
« Mort aux vaches, mort aux lois, vive l'anarchie ! » Ou comment une banale affaire d'outrage à agent a relancé Brassens parmi les militants d'extrême gauche et les anarchistes.
Le 27 mai dernier, le tribunal correctionnel de Rennes condamnait un jeune homme à 40 heures de travaux d'intérêt Général et 200 euros d'amende pour avoir chanté « L'hécatombe » à sa fenêtre. (Voir la vidéo de la chanson)
Outrées qu'il ne soit plus possible de chanter en toute liberté, des chorales fleurissent « en solidarité », à Paris ou à Toulouse.
« Il a fait ça dans le but d'embêter les policiers »
L'histoire est un poil différente, comme l'explique Me Eric Lemmonier, avocat au barreau de Rennes qui a défendu le chanteur à l'origine du phénomène. Le jeune homme a accompagné son couplet d'un refrain d'insultes et avait déjà comparu pour des délits similaires :
« Antoine [le prénom a été modifié] était à sa fenêtre, éméché. Il a vu des policiers en bas procéder à un contrôle, il a chanté la chanson de Brassens et ajouté quelques mots à lui, si vous voyez ce que je veux dire… Il s'en est bien tiré. Antoine a des antécédents, il risquait une peine plancher. Le tribunal lui a laissé une chance, c'est pas un mauvais garçon. Il a ce petit côté rebelle, il aime pas trop la police, il a eu un passé difficile.
Il a chanté cette chanson dans le but d'embêter les policiers, il ne s'agissait pas d'une bande d'amis qui chante Brassens dans la rue un soir de fête ! »
Quand « La canaille du midi » s'en mêle
Sitôt rendu, le jugement tourne parmi les réseaux d'extrême gauche, les anarchistes et les indignés de la place de la Bastille. La chorale toulousaine « La canaille du midi », groupe de chanteurs engagés, connu pour reprendre des chants révolutionnaires, s'en indigne et décide de passer à l'action. Mercredi 15 juin à 20 heures, une trentaine de personnes entonne la même chanson devant un commissariat de la ville rose. Au bout d'une heure, les policiers perdent patience et leur font tous décliner leur identité. Même topo samedi 18 juin devant la préfecture de police de Paris. Sauf que trois des chanteurs passent la nuit en garde à vue. Jean-Paul (le prénom a été modifié), archéologue de 47 ans, raconte : « J'avais entendu parler de l'affaire sur Radio Libertaire (radio anarchiste parisienne) et comme je suis un grand fan de Brassens, ma compagne et moi avons décidé de nous joindre au rassemblement. Ça tombait pile poil avec la séance de cinéma où on voulait aller ensuite ! Les gendarmes nous ont encerclés, j'ai été déséquilibré, je suis tombé. En tombant, j'ai arraché l'oreillette d'un gendarme. Ils m'ont embarqué, menotté, libéré seulement le lendemain. Je suis poursuivi pour outrage. L'affaire est reportée à septembre. »
« Ça donne encore plus envie de le chanter »
Le 21 juin, une dizaine de personnes se donnent rendez-vous devant la préfecture de police de Paris. Des militants anarchistes, des indignés, des étudiants qui ont entendu parler de l'affaire sur Facebook. Tout le monde a oublié le jeune homme de Rennes, plus personne ne sait qui c'est. Le jeune homme de Rennes lui-même n'est pas au courant de ces rassemblements. L'organisateur de l'évènement, Gregory, s'emmêle un peu les pinceaux :
« On est là en solidarité avec ceux de Toulouse, qui ont été condamnés à des dizaines d'heures de travaux d'intérêt généraux. »
Pour l'instant, les chanteurs de Toulouse ne sont pas poursuivis. Mais qu'importe, la légende est créée, le mot est passé, en attendant de chanter on s'interpelle :
« Mais tu te rends compte, ils ont juste chanté Brassens et ils sont condamnés ? Ça donne encore plus envie de le chanter. »
L'ambiance est familiale et bon enfant, une maman chante même avec son bébé dans les bras (Voir la video)
L'heure tourne et, fête de la musique oblige, personne ne moufte au commissariat. Gregroy le reconnait bon gré mal gré :
« On va pas critiquer la police quand ils font rien de mal… Mais nous devons être sûrs que personne ne s'est fait embarquer ailleurs ! Dès que quelqu'un se fera embarquer pour avoir chanté du Brassens, on reviendra. »
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